Hallucinant!
C’est étonnant, séduisant, bouleversant, terrifiant. On n’ose dire, vu le sujet, que c’est beau. Mais ça l’est! Des marionnettistes qui s’agitent à faire vivre les indices de la mort, récitante et bruiteur à autrement donner corps à ceux décharnées qui s’étalent devant nous. Voici une «expérience» théâtrale qui, pur des tas de choses, nous restera. Ne serai-ce (et malgré) que c’est à partir de bouts de ficelles (brindilles, persil, poupées de sparadrap, terre et carton…) que se déroule sous nos yeux le film de La Grande Guerre, de cette der des ders qui n’était, sommes toute, que la première touchée par le raffinement du modernisme.
Ça commence par un exposé, cartographie déployée et événements relatés en une sinistre chronologie des pays que se déclarent la guerre, comme un jeu de dominos. Et nous plongeons dans l’horreur. La scène est, entière, théâtre d’opération. C’est à la Comédie et ce n’est pas une. C’est néanmoins mise en scène à tous les chapitres. Le bruiteur a sa munition de partitions. Les manipulateurs vont de stand en stand, caméra au poing. De la terre, des brosse qui peignent forêts, des arbres persils qui agonisent au lance-flammes… En direct, sur grand écran. Bombardements. La ville brûle-t-elle? Elle devient cendres. Tout se bricole sous nos yeux. Un coup de doigt et ce sont des vies qui tombent au champ d’horreur, poilus de plastoc que la vie retoque. Capharnaüm, néant, trou noir. Et toujours la bonne focale qui filme la miniature pour faire grand effet.
Gros plans de jambes boueuses qui marchent dans la merde: «Plus on meurt souvent, plus on vit intensément.» C’est une litanie de morts. Un bateau dans la torpeur, un sous-marin qui le torpille. Silence de l’amer… Camps de prisonniers, explosions, obus jusqu’à plus soif, fumées, odeurs qui se répandent. C’est un reportage live, comme un direct sur la gueule: ça frappe et on n’en ressort pas comme d’un autre spectacle. Ça n’a beau être que du jouet, de la marionnette, des soldats de tissus pour images chiffonnées, on n’a peut-être jamais été autant dans le vrai. C’est hallucinant! Criant. Pas de vérité, non, mais de La Vérité. Cet Hotel Modern de Rotterdam à qui l’on doit ce chef-d’oeuvre est plus qu’une grande compagnie.
date inconnu